Pourquoi le modèle de ville compacte n’est plus applicable en Afrique?

Le dernier numéro du bulletin «Ville en Développement» (N°102 –Février 2016) intitulé «Les périphéries urbaines des « villes du sud » Les enjeux et les moyens d’une croissance maîtrisée», consacre un article sur Nouakchott (Mauritanie) où l’expansion démographique a engendré une explosion de la périphérie.

 

Le document produit par “AdP-Villes en Développement Association de Professionnels” soulève deux principales questions dans cet article: Ville dense ou ville diffuse ? Quel avenir pour les périphéries des villes du sud ?

Jérôme Chenal, directeur de la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire (CEAT) à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), estime que l’enjeu dans les villes africaines n’est pas la ville existante, la ville centre mais l’enjeu se trouve en périphérie.

Pour lui, le modèle de ville compacte n’est plus applicable en Afrique car ces modèles de villes compactes, moins prédatrices en ressources, sont applicables dans les villes où les réseaux sont complets, où les salaires médians sont élevés et donnent aux populations la possibilité de s’offrir une mobilité quasiment infinie pour leur travail et leurs loisirs.

Sur le plan de l’évacuation des eaux pluviales dans les villes compactes, il faut toujours trouver un optimum entre la très faible et la très haute densité et cela «dépend du contexte morphologique, géographique, climatique de chaque ville», explique Jérôme Chenal.   Il s’agit donc de comprendre comment adapter la densité à chaque cas particulier au lieu de donner une réponse unilatérale prévalant sur l’ensemble des territoires urbains.

S’agissant de périphéries, cinq interrogations sont soulevées par le spécialiste. Il est nécessaire d’apporter des réponses «pour comprendre les actions sur le territoire, mais surtout avoir les moyens de concevoir la ville de demain» dit-il.

– Tout d’abord, il faut interroger le concept de densité et de forme compacte. Une question s’impose : celle du légal – ou de l’illégal – et donc celle de l’accès au marché foncier du plus grand nombre. Dans la majorité des villes du sud, la population n’a pas accès au foncier car même la parcelle nue reste trop chère pour sa capacité financière. Considérons que les populations pauvres ayant un droit à la ville comme les autres, leur seul choix reste de s’installer sur les franges du centre-ville ou en périphérie. Surgit alors un paradoxe vis-à-vis du concept de la ville compacte puisque ces populations sans accès au foncier officiel, du fait de leur pauvreté, s’installent à l’opposé de la ville planifiée. Cette stratégie leur permet d’assurer leur implantation le plus longtemps possible sans être déplacées. Il est donc important de trouver des solutions pour appréhender ce phénomène qui réinterroge la question de la propriété foncière et de la propriété privée.

– Les transports publics créent de l’étalement urbain par ségrégation des plus pauvres. Rabat au Maroc est un exemple intéressant. Les autorités ont réalisé un tramway, mais beaucoup trop cher (le prix du ticket a été ajusté à deux reprises depuis). Or, la mise en place d’infrastructures de tramway ou de métro provoque la hausse des prix des loyers et donc du foncier et de l’immobilier. Les populations à proximité de cette ligne de tramway, susceptibles de l’utiliser, sont contraintes, petit à petit, de s’installer plus loin à cause de cette hausse du marché foncier. Ces populations ont été remplacées par des personnes plus riches qui privilégient l’usage de la voiture. Les mécanismes sont certes plus complexes mais le résultat reste toujours le même.

– Le travail des ONG dans les quartiers périphériques est lui aussi source d’étalement urbain : en aidant les plus pauvres et en leur procurant différents services afin d’améliorer leur cadre de vie, elles les ancrent dans cette périphérie lointaine. L’aide légitime aux plus pauvres a des incidences importantes sur la possibilité d’une ville compacte.

– Les moyens de subsistance exigent d’autres contraintes. En dessinant et imaginant un lotissement en périphérie, l’agriculture urbaine s’impose et a son importance. Il y a un intérêt à donner la possibilité de faire de l’élevage et de l’agriculture en proposant des lotissements de taille suffisante pour ces activités.

– Une dernière interrogation concerne le climat qui, dans le cas d’un climat humide, pousse à reconsidérer la taille des parcelles car l’enjeu de l’infiltration des eaux pluviales est important.

Au vu de ces interrogations, il faut se poser la question suivante : pourquoi faire de la ville dense en Afrique subsaharienne aujourd’hui ? Cette injonction à la densité, qui peut-être fonctionne dans les villes du nord, est reproduite tant bien que mal et souvent à tort sur l’ensemble des villes du sud. Ce n’est donc pas du modèle théorique de la ville durable qu’il faut partir, mais de la réalité du lieu, à la fois physique et climatique et des pratiques des habitants qui s’y sont installés. La création des lotissements doit s’appuyer sur le mode de vie des populations, le contexte physique et leur manière de vivre au quotidien, leur mobilité, leurs straté- gies ou tactiques. La ville qui en résultera sera dessinée tout à fait différemment. Dans le contexte de la ville de demain, durable et intégrative, le lotissement reste un outil de base, mais qu’il faut impérativement passer au crible de nos interrogations !

Le bulletin complet est disponible ici et contient également un article sur le Burkina intitulé : «Cartographier et mesurer la ville, un préalable pour la planification urbaine l’exemple de Ouagadougou».