INTERVIEW: Professeur Alioune Sall, Président du Groupe de prospective d’Africités7
« Les autorités locales peuvent influencer le futur si elles développent des stratégies de valorisation de leurs ressources»
Le Professeur Alioune Sall, Président du groupe de prospective qui a été mis sur pied pour la préparation du sommet Africités7, revient dans cet entretien sur la vision de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine (UA) et sur le rôle des collectivités locales pour la réalisation de cet Agenda.
Le professeur Sall est également Directeur exécutif de l’Institut des Futurs Africains (Institut spécialisé en prospective).
Vision Agenda 2063 de l’Union Africaine
«L’agenda 2063 procède d’une posture par rapport à l’avenir. Elle offre une analyse courageuse de la situation de l’Afrique. Ce qui n’est pas une chose très simple parce que l’Afrique est une totalité contradictoire dans laquelle l’on trouve des éléments positifs des tendances lourdes qui se modifient sous l’effet des germes de changement, mais une totalité dans laquelle on voit aussi perdurer une tendance lourde négative. L’Agenda 2063 est lucide aussi bien sur ces tendances lourdes négatives que sur ces germes de changement qui ont un potentiel positif. L’Agenda 2063 est aussi une certaine posture qui est assumée ; cette attitude par rapport à l’avenir consiste à travailler pour faire que ce qui est souhaitable devienne réalité. Adopter une attitude proactive à la place des attitudes qui étaient réactives et qui simplement visaient à aider l’Afrique à s’ajuster à une réalité externe. Ici nous avons affaire à une attitude de conquête d’un avenir possible. Le troisième élément positif dans l’Agenda 2063 c’est qu’au-delà d’une analyse de ce que c’est que l’Afrique, l’Agenda est caractérisé par des préoccupations de type opérationnel. Ce document se veut un instrument pour améliorer la planification et la gestion du développement en Afrique et c’est pour cela que la vision du long terme avec comme vision temporelle l’horizon 2063 va être déclinée en des horizons plus courts. La première tranche étant de 10 ans c’est là que se trouve aujourd’hui la commission de l’Union Africaine en termes d’opérationnalisation de cette vision. Il y a trois autres éléments qu’il me semble important de considérer lorsque l’on veut bien comprendre l’ambition de l’Agenda 2063. Premièrement cet agenda a d’abord été élaboré par des Africains et cette caractéristique procède en mon sens d’une volonté de reconquête de la souveraineté intellectuelle qui avait été quelque peu perdue pendant près de deux décennies. Les politiques économiques par exemple ont été dominées par un paradigme qui a été extérieur, celui des ajustements structurels. L’autre caractéristique majeure est qu’il y a eu un effort d’écoute des Africains. Aussi bien de ceux qui sont sur le continent que ceux de la diaspora pour comprendre qu’elles étaient leurs aspirations, quelles étaient leurs craintes, et quelle pouvait être leur contribution. Ainsi l’Agenda est bâti autour de 7 aspirations majeures, le caractère participatif étant une des conditions pour qu’il ait une appropriation véritable. La 3e caractéristique est que cet Agenda est bâti pour l’essentiel autour du citoyen. C’est donc un Agenda afro-centrique».
Rôle des collectivités locales
«Les collectivités locales peuvent participer à la réalisation de l’Agenda 2063 de plusieurs manières. D’abord en réfléchissant sur leur propre évolution et les scénarios d’évolution possible dans le futur. 2063, c’est demain : les germes de 2063 sont déjà dans la réalité actuelle. Parmi ceux qui vont être là en 2063, quelques-uns sont déjà nés. Il faut bien se poser la question de comment ils peuvent évoluer. Intégrer la réflexion prospective dans la démarche de gestion des collectivités locales est un moyen important pour participer à la construction de l’avenir. Les collectivités ne doivent pas simplement attendre que demain arrive. Elles pourraient aujourd’hui établir des diagnostics beaucoup plus précis et beaucoup plus riche que ceux qui sont établis jusqu’ici. La deuxième contribution pourrait être de faire ce diagnostic avec les citoyens eux-mêmes. Au lieu que ce soit des exercices technocratiques faits par les ministères ou les collectivités locales décentralisées ou par des cabinets d’experts, l’on pourrait imaginer des diagnostics fait par les citoyens eux-mêmes. Ceci pourrait être fait dans les langues parlées dans les pays, et donc l’information pourrait être mieux diffusée et toucher des groupes qui jusqu’ici ne sont pas touchés. Beaucoup de gens ne parlent pas les langues étrangères telles que le français et l’anglais. Il faut savoir qu’il n y a pas de bonne prospective sans un bon état des lieux. L’analyse prospective est menée quelque fois par certaines collectivités locales mais elle se fait de manière ponctuelle. Il faut que cette réflexion prospective devienne institutionnelle afin qu’elle soit une espèce de culture. Il y a là un vaste chantier qui est ouvert sur les collectivités locales. Les autorités locales peuvent avoir une influence sur le futur si elles développent des stratégies de valorisation de leurs ressources».
Institut des Futurs Africains
«Nous travaillons dans 4 directions. Premièrement nous faisons beaucoup de plaidoyer pour expliquer aux Africains que la réflexion prospective n’est pas un luxe réservé à des chercheurs qui seraient débarrassés des contingences de la gestion du quotidien. Mais c’est un outil d’aide à la décision. C’est un instrument de pouvoir dans la mesure où elle permet de lever le nez du guidon. C’est un moyen de faire en sorte que les décideurs ne soit pas victimes de la tyrannie des urgences. Deuxièmement, nombre de pays africains ont lancé des études sur des perspectives à long terme. Tous les pays qui se sont engagés dans ces études ne sont pas outillés de la même manière pour mener de tel exercice. Nous aidons les pays qui le souhaitent à se doter de capacité pour maitriser les outils, les méthodes, les processus et la philosophie des études prospectives. La troisième direction dans laquelle nous sommes présents ce sont les publications. Nous avons publié un certain nombre d’ouvrages sur la compétitivité future des économies africaines. Nous avons publié un livre sur différents scénarios possibles pour l’Afrique à l’Horizon 2025 ; nous avons publié un guide méthodologique pour renforcer les capacités des cadres africains en matière d’étude prospective. La quatrième direction concerne les recherches sur les questions d’intérêt stratégique telles que les problèmes monétaires et les questions de paix et de sécurité. De toute évidence il n’y aura pas de développement si l’instabilité règne, si certaines parties de nos territoires sont inaccessibles».