Hommage à Geoff Makhubo

Geoff, mon ami, mon frère

Alors tu es parti,

Sans prévenir, sur la pointe des pieds,

Et tu as choisi de le faire à un moment où ta ville, Johannesburg, ton pays, l’Afrique du Sud, et ton continent, l’Afrique, avaient tellement besoin de ton type de leadership, profondément ancré dans la valeur humaine de l’Ubuntu et orienté vers le service au peuple, un message pour une véritable africanité dont tu étais un porteur intime.

Des éloges, tu en auras, amplement mérités.

Mais sauront-elles combler l’immense vide que tu laisses désormais en nous ?

Nous, qui avons été témoins de ton investissement personnel dans la réussite du sommet Africités, l’événement phare des Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, accueilli dans la ville de Johannesburg en novembre 2015.

Nous, qui avons compté sur ton optimisme pour ce Continent, dont tu as souffert qu’il désespère tant de sa jeunesse alors qu’il est si immensément doté.

Nous, pour qui vous tu as si souvent joué le rôle de vigie, en toute situation, sans crainte, avec les grands et les petits.

J’ai été l’heureux bénéficiaire de cette flamme qui brûlait en toi, des moments sporadiques, voire fugaces, mais d’une luminosité intense.

J’ai bénéficié de cet appétit d’analyse et de mesure, qui est la marque des grands esprits.

J’ai vu en toi un grand esprit qui acceptait d’être soumis à l’épreuve de la réalité de l’Afrique profonde, loin des palais, des plateaux et du théâtre de la représentation que nous confondons avec une vie réussie,

Sur les chemins cahoteux de notre cher Continent, à la recherche d’espoirs à présenter à la jeunesse d’Afrique et du monde,

Tu as servi ta ville, ton pays, notre continent avec dévouement,

Tu étais convaincu qu’il fallait changer la rumeur sur l’Afrique, installer dans les esprits et les cœurs l’image d’une Afrique fière de son passé et sûre de sa capacité à être enfin maîtresse de son avenir,

Ces dernières années, comme nous tous, tu as observé la lente mais inexorable maturation de cette montée en puissance de l’Afrique dans l’agenda mondial,

Non seulement en termes de mobilisation de la charité humaine en faveur de et je cite “ce pauvre continent qui ne serait pas entré dans l’histoire” fin de citation, l’histoire écrite bien sûr par les porteurs d’épées et les vendeurs de canons,

Mais maintenant comme la nouvelle frontière du monde, le berceau de l’humanité reconnu tardivement, ainsi que le plus grand réservoir de ressources naturelles et bientôt de population du monde, fermant ainsi la boucle qui fait de l’Afrique l’alpha et l’oméga de l’espèce humaine sur la planète Terre,

En tant que responsable de ville, tu as dit combien il est important de présenter cette perspective à la jeunesse africaine afin qu’elle prenne conscience de la noble lignée à laquelle elle appartient, et de la responsabilité globale dont elle est désormais investie, pour définir les voies vers un ordre supérieur de l’humanité, où la solidarité et le partage auront pris le pas sur la compétition stérile de tous contre tous et du chacun pour soi qui alimente la xénophobie, le racisme, les inégalités et l’injustice systématique.

Tu nous a dit que le temps est venu où l’histoire récente de l’Afrique, telle qu’elle a été dessinée sur une carte lors d’une Tea Party tenue à Berlin, en Allemagne, en 1885, et reflétée dans les États africains post-coloniaux, doit céder la place à une dynamique venant de l’intérieur, portée par un irrésistible essor de l’Afrique des peuples, celle qui règle enfin les comptes avec les déchirures et les mutilations de l’ordre colonial, et reconstruit l’avenir en dépassant les frontières factices,

Certains souriaient avec sympathie devant tant de naïveté et de doux rêves,

Mais les événements et les décisions de l’histoire récente de notre continent ne nous donnent-elles pas raison, quand on voit la récente adoption par les États membres de l’Union Africaine de l’Accord de la Zone de libre-échange continentale, qui constitue la pierre angulaire de l’Afrique que nous voulons, une Afrique maîtresse de son destin et gardienne de la construction d’un monde meilleur et plus juste, car soucieuse de l’égal dignité de tous les êtres humains ?

J’aurais aimé poursuivre cette conversation avec toi, et explorer comment les collectivités territoriales devraient concrètement amorcer ce virage vers la construction de bases solides pour une Afrique enfin unie. Rappelez-toi. C’était précisément le sujet du sommet Africités de Johannesburg : la contribution des collectivités territoriales africaines à la mise en œuvre de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Mais ton souffle s’est arrêté, et cet arrêt nous rend légataire d’un grand testament : poursuivre notre rêve de construire l’Afrique des Peuples du Cap au Caire.

Sois assuré, de là où tu nous regardes maintenant, que nous ferons en sorte que des milliers, des centaines de milliers de jeunes de ce Continent soient conscients de tourner la page de l’héritage colonial, de renvoyer au rébus de l’histoire les micro-États de la division de l’Afrique, et de faire se lever une immense vague portée par cet Ubuntu que l’Afrique est fière d’offrir au monde.

Alors, comme le dit le conte, le Fils Aîné aura joué son rôle, pour que le monde devienne enfin un endroit où il fait bon vivre pour tous.

Geoff, mon ami, mon frère,

Repose en paix.

Tu as été enlevé trop tôt à l’affection de ta famille, de ta ville, de ton continent que tu aimais si profondément. Tu as été enlevé trop tôt à notre affection.

La sagesse africaine dit que les morts ne sont pas morts. Ils sont dans le soleil qui brille, dans les étoiles qui scintillent, dans le vent qui bruisse.

Les morts ne sont pas morts

Geoff en nous, tu restes plus vivant que jamais, en nous tu ne mourras jamais.

Repose en paix mon cher ami, mon cher frère.

Jean Pierre ELONG MBASSI

Secrétaire Général de CGLU Afrique