En route pour Africités 9 : La grande interview avec…Mohamed Sefiani, Maire de Chefchaoeun (Maroc) : « Il faut comprendre que les villes intermédiaires sont la solution »
En direction du sommet Africités 9 prévu du 17 au 21 mai 2022 à Kisumu (Kenya) dont le thème est : « La contribution des villes intermédiaires africaines à l’Agenda 2030 des Nations Unies et à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine », CGLU Afrique réalise une série d’interview avec les maires des villes intermédiaires du continent. Nous ouvrons cette rubrique avec M. Mohamed Sefiani, Maire de Chefchaouen (Maroc), président du Forum Mondial de CGLU des villes intermédiaires et co-président de la Task Force climat de CGLU Afrique. Il se confie sur la place capitale que les villes intermédiaires ont à jouer pour l’atteinte des agendas mondiaux et partage l’expérience de sa ville en matière de réalisation sur le volet climat, urbanisation, migration et développement économique local.
Bonne écoute et bonne lecture.
Pouvez-vous présenter brièvement votre ville ?
Je suis Mohamed Sefiani, maire de la ville de Chefchaouen depuis 2009. Je suis également président du Forum Mondial de CGLU des villes intermédiaires et co-président de la Task Force climat de CGLU Afrique. Chefchaouen est une ville qui a 550 ans. C’est une ville intermédiaire qui se trouve au nord du Maroc. Elle est classée patrimoine immatériel de l’humanité en terme de culture alimentaire méditerranéenne. C’est une ville où la société civile joue un rôle important. C’est pour cette raison que la démarche de démocratie participative est un pilier de la vie de gouvernance locale. C’est une ville qui est très impliquée dans l’implémentation des objectifs du développement durable et aussi dans l’implémentation de l’Agenda climat. C’est une ville qui a également beaucoup de défis et de challenge.
Les villes intermédiaires occupent une place stratégique dans l’urbanisation en Afrique. D’ici 2050 la majorité des nouveaux urbains s’installeront dans des villes de moins de 500 000 habitants. Comment se prépare votre municipalité à ce changement ?
Nous savons que les villes intermédiaires ont un rôle et un potentiel très important et beaucoup d’études ont montré que les villes intermédiaires à l’horizon 2050 accueilleront plus de la moitié de la population mondiale urbaine dans le monde. En Afrique, le nombre sera plus élevé parce que le développement des villes intermédiaires se fait plus rapidement que la moyenne mondiale. C’est pour cette raison que ma ville, Chefchaouen se prépare pour faire face aux défis et aux enjeux qui l’attente. Il y’ a 3 ans, CGLU a organisé à Chefchaouen en partenariat avec la ville, le premier forum mondial des villes intermédiaires. A cette occasion c’était très clair que les villes intermédiaires ont un potentiel très important. Il faut dire qu’il y a 5 à 6 ans on parlait de ville secondaire, on parlait même de ville moyenne. Au cours du premier forum mondial des villes intermédiaires on a bien cerné la définition des villes intermédiaires. Ce n’est pas seulement le nombre d’habitant qui est important mais aussi la fonction d’intermédiarisation. C’est pour cette raison que ma ville se prépare. Nous avons élaboré un document en 2018 avec une approche participative sur « vision Chefchaouen 2030 » afin d’implémenter les objectifs du développement durable et les différents agendas mondiaux. Nous prenons en considération la pression que vont subir les villes intermédiaires en général et notamment en Afrique. Il faut comprendre que les villes intermédiaires sont la solution. On ne peut pas imaginer la mise en œuvre des objectifs du développement durable sans les villes intermédiaires. Cette vision 2030 de Chefchaouen est traduite par des plans d’actions dans les différents domaines des objectifs du développement durable et en particulier pour l’infrastructure de base, le développement économique local, le climat, la santé, l’éducation, l’essentiel des domaines de développement durable pour pouvoir faire face aux challenges qui nous attentes pour les années à venir.
Pensez-vous que les villes comme la vôtre font suffisamment l’objet d’attention de la part des politiques publiques ?
Lors de la préparation du premier forum mondial des villes intermédiaires, mais aussi du deuxième qui a eu lieu en octobre 2021 à Kutahya en Turquie, il ressort sans ambiguïté qu’il y a une conscience collective mondiale du rôle et du potentiel des villes intermédiaires. Un exemple, le G20 sous la présidence italienne a pris ce sujet, comme un sujet prioritaire en se basant sur l’importance montrer par les études menées sur les villes intermédiaires à l’échiquier mondial. On ne peut pas imaginer une résilience des territoires sans l’implication des villes intermédiaires. Plusieurs pays, plusieurs villes font un travail extraordinaire pour faire face aux challenges. Ici au Maroc par exemple, en 2018 nous avons signé entre CGLU, CGLU Afrique, ONU Habitat, le Gouvernement du Maroc via le ministère de l’intérieur et le ministère de l’urbanisme, un Mémorandum d’entente pour élaborer une stratégie nationale des villes intermédiaires en vue de l’implémentation des agendas mondiaux. Ce travail a démarré et plusieurs villes intermédiaires travaillent dans ce sens-là, ceci sous forme différente dans plusieurs autres pays, CGLU, CGLU Afrique et les autres sections font un travail extraordinaire pour que les villes intermédiaires soient accompagnées car elles ont pratiquement les mêmes défis, les mêmes potentiels, les mêmes challenge pour le présent et l’avenir.
Le sommet Africités 9 ? prévu du 17 au 21 mai 2022 à Kisumu (Kenya) place les villes intermédiaires au cœur du débat, avec le thème : « La contribution des villes intermédiaires africaines à l’Agenda 2030 des Nations Unies et à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine ». Quels sont vos attentes pour cette rencontre qui regroupe les collectivités territoriales ainsi que les institutions financières, les organisations de la société civile et les partenaires au développement à l’échelle continentale et internationale. ?
Premièrement je remercie la présidence et le secrétariat de CGLU Afrique d’avoir choisi ce thème. Ça montre la vision des décideurs au sein de CGLU Afrique. En Afrique les villes intermédiaires joueront un rôle très important et il faudra un fort engagement de ces dernières pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et 2063 de l’Union Africaine. Ces villes intermédiaires doivent être accompagnées, soutenues, appuyées. Nous avions fait des consultations au niveau des différents continents et c’est la demande des différents maires que nous avions rencontrés. La dernière déclaration de Kutahya sur les villes intermédiaires lors du deuxième forum mondial, parle de la gouvernance multiniveau comme élément clé de la réussite de l’implémentation des ODD. Gouvernance multiniveau et multi acteur et là ce rapport rural urbain qu’on trouve fortement dans les villes intermédiaires doit être renforcé et valorisé. Il y a également la question de la taille humaine des villes intermédiaires qui favorise une culture à la démocratie, une culture à la justice climatique, la justice à l’eau. Nous savons que la question de l’eau en Afrique est très importante suite aux changements climatiques. Il y a aussi tout ce qui est développement économique en général et développement économique local, la valorisation de l’économie sociale et solidaire que nous trouvons dans les éléments clés dans les villes intermédiaires africaines. Je pense que ce sommet sera une opportunité de faire un focus sur les réalités du devenir des villes intermédiaires et aussi c’est une opportunité d’impliquer les gouvernements nationaux, les organisations internationales et également les villes métropolitaines qui sont complémentaires aux villes intermédiaires. Nous devons continuer à travailler main dans la main.
Le défi mondial du changement climatique ne peut être atteint que par la territorialisation des Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Comment votre municipalité s’y prend pour faire face aux conséquences du changement climatique dans le quotidien de vos populations ?
C’est un défi majeur. Ce n’est pas une question qui concerne seulement les chefs d’Etat ou les pays riches mais il y a une forte implication des Etats et des Villes dans le monde entier. Même si l’Afrique en terme d’émission de gaz à effet de serre ne contribue qu’à hauteur de 4% mais il y a un effet de solidarité. L’Afrique est victime du changement climatique, c’est pour ça que tout ce qui est adaptation au changement climatique doit être souligné, doit être renforcé au niveau de l’Afrique, en plus bien sûr de l’atténuation. Au niveau de la ville de Chefchaouen nous travaillons sur ces questions-là d’ailleurs nous avons remporté le prix initiative climat lors du dernier Africités 2018 à Marrakech pour la catégorie des villes intermédiaires. Nous travaillons sur différent volet : la sensibilisation des citoyens, le renforcement de la société civile sur les questions du climat, sur les infrastructures en prônant l’approche climat, sur la planification stratégique en prenant aussi en considération la dimension climat de nos plans d’actions, etc. Nous avions également mis en place des projets pilotes tel que l’utilisation des panneaux solaires photovoltaïques, thermiques aussi, l’efficacité énergétique dans le domaine de l’éclairage public, des transports. Nous continuons sur cette lancée. Un projet important sur lequel nous travaillons en ce moment c’est celui de la sécurisation de la ville de Chefchaouen en eau portable. C’est un projet de partenariat multi acteur, multiniveau. La ville de Chefchaouen est une des villes les plus pluvieuses au Maroc mais avec les changements climatiques nous subissons de temps à autre des périodes de sècheresse. C’est pour cette raison que tout un système hydraulique a été mis en place, un barrage, une station de traitement, de pompage sur une vingtaine de kilomètre pour sécuriser la ville afin qu’en cas de sécheresse il n’y est pas de pénurie d’eau. C’est des projets sur lesquels nous travaillons en plus de celui de glissement de terrain qui se fait de temps à autre au niveau de la ville à cause des facteurs liés aux changements climatiques.
Comment les villes intermédiaires comme la vôtre peuvent contribuer à la création de richesse nationale, au développement économique local et à la démocratie locale ?
Je suis convaincue que les villes intermédiaires africaines pourront contribuer fortement à l’élargissement de l’assiette de la démocratie participative et la démocratie locale en général à travers des mécanismes tel que le budget participatif, les approches de consultation citoyenne qui sont importantes dans la mise en place de ce système de démocratie participative. Les villes intermédiaires sont avantagées dans ce sens vu leur taille humaine. On se connait, on connait les gens par leur nom, on connait la société civile. Il ne s’agit pas des organismes dans des métropoles qu’on ne connait pas. Nous sommes pratiquement dans une grande famille dans les villes intermédiaires ce qui facilite cette démocratie participative et cette culture citoyenne. Il y a aussi en termes de développement économique local, une des caractéristiques des villes intermédiaires c’est le rapport rural urbain. Nous savons que les villes intermédiaires et les zones rurales en Afrique sont riches en potentiel humain, agricole, artisanal, etc. Ainsi la valorisation des produits du terroir est un élément clé pour les villes intermédiaires pour un développement durable, pour un écotourisme qui est également important au niveau de l’Afrique. Pour une alimentation saine basée sur les produits locaux du terroir des ruraux qui entourent les villes intermédiaires. Je crois que la valorisation des produits du terroir et l’économie sociale et solidaire sont des éléments clés pour la promotion du développement économique local des villes intermédiaires.
Les villes intermédiaires jouent un rôle important dans l’urbanisation rapide dans les pays en voie de développement, l’équilibre des territoires, la fourniture des services aux populations environnantes, la création d’emplois et la génération de revenus, et l’atténuation de l’immigration rurale, plutôt que les grandes villes. Pouvez-vous nous partager l’expérience de votre ville sur ces aspects ?
Au niveau de la ville de Chefchaouen durant les 30 dernières années nous avons vu la naissance des quartiers périphériques qui sont le résultat de l’immigration rural, urbain. Ça nous donne aussi des défis parce que les gens qui viennent arrivent dans un contexte d’insuffisance de planification urbaine. On se retrouve avec des quartiers qui souffre du manque d’équipements important tel que l’assainissement, l’absence des voies en bonne et due forme. Nous avons fait un effort dans ce sens-là et nous comptons généraliser les infrastructures et les équipements au niveau de ces quartiers issus de l’immigration d’ici 2025. En termes de planification nous avons au Maroc le plan d’aménagement urbain. C’est un document urbanistique de 10 ans. Nous le respectons et il nous a permis de limiter les constructions anarchiques au niveau de la ville et ça nous a orienté vers des plans de mise à niveau urbain des quartiers qui ont été créé suite à l’immigration rurale urbaine. Nous travaillons dessus et nous allons l’actualiser, parce que chaque 10 ans on doit faire les mises à jour. En termes de limitation de cette exode rurale, le gouvernement a aussi mis en place une stratégie au niveau national. C’est ce qu’on appelle les centres ruraux. Dans notre ville nous avons effectué un travail en ce qui concerne la mise à niveau des centres ruraux avec la création des centres de santé, les écoles, des lycées, etc. Cela va favoriser et améliorer les conditions de vie dans ces centres ruraux.
Pour finir, pouvez –vous lancer une invitation pour Africités 9 ?
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